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PATRIMOINE. DES PIECES DE TRES GRANDE VALEUR SONT PROPOSEES AUX ENCHERES LORS D’UNE VENTE INTERNATIONALE.

UNE VENTE ORGANISEE PAR UNE SOCIETE NUMISMATIQUE DE MONACO PROPOSE DES PIECES REUNIONNAISES DU 19E SIECLE DE TRES GRANDE VALEUR. SI DES ACTEURS LOCAUX NE NE NE SE POSITIONNENT PAS, ELLES PARTIRONT POUR TOUT JAMAIS A L’ETRANGER.

C’est une de ces événements scrutés par quelques collectionneurs passionnés. Et souvent particulièrement fortunés. Une vente aux enchères de pièces de collections aura lieu en octobre, organisée par une grande société numismatique de Monaco. Vu de chez nous, dix lots retiennent l’attention. Neufs pièces de l’île de La Réunion très rares et donc très chères. En cuivre ou en argent, elles datent toutes du 19e siècle et ont été frappées par la Banque de l’île de La Réunion, la Chambre de Commerce, le Crédit Agricole et Commercial la Caisse d’Escompte et de prêts ou le Crédit Foncier Colonial. Dans l’univers des numismates, on parle plus précisément de jetons car ces pièces n’ont pas eu de valeur faciale. On pourrait aujourd’hui les comparer à des actions.

Certains de ces jetons sont présentés par la société vendeuse comme unique exemplaire connu. Ils appartenaient pour la plupart à Jean Lecompte, collectionneur et spécialiste des frappes coloniales. Il est l’auteur de l’ouvrage de référence sur les “Monnaies et jetons des colonies françaises” paru en 2007. On trouve d’ailleurs dans ce livre quelques uns des exemplaires aujourd’hui proposés au plus offrant.

Certains chiffres sont impressionnants. Le lot le plus cher, c’est le jeton en cuivre de 21 grammes frappé par la CCI de La Réunion en 1862. On y voit Mercure assis, appuyé sur un écu aux armes impériales et tenant un caducée. Derrière lui, un trois-mâts et des plants de canne. Sur l’autre face : une couronne formée de deux branches entourant la mention « Chambre de Commerce de l’ile de La Réunion ». Le seul autre exemplaire connu ce ce jeton se trouve à la CCI de Marseille. Prix affiché : 1200 euros. Il ne s’agit évidemment que d’un prix de départ de l’enchère. Le futur acquéreur devra probablement débourser beaucoup plus pour l’ajouter à sa collection.

Les collectionneurs prêts à quelques folies pour ce type de trésors exceptionnels ne manquent pas. C’est bien là toute l’enjeu de cette ventes aux enchères : c’est une part du patrimoine réunionnais qui pourrait disparaitre à tout jamais vers l’étranger alors que ces jetons à haute valeur historique auraient tout à fait leur place dans un de nos musées.

Le sujet est tout sauf anecdotique. De nombreuses anciennes colonies tentent de se réapproprier leurs patrimoine ; considéré comme spolié par les anciennes puissances coloniales ; que l’on retrouve aujourd’hui disséminé dans les plus grands musées du monde ou dans des collection privées. Les sites d’enchères permettent souvent de retrouver la trace de ses richesses et autres trésors des siècles plus tard sans que la traçabilité ne soit véritablement établie et sans connaître l’origine et leurs modalités d’acquisition. Cette vente monégasque est donc une occasion unique pour la Réunion de remettre la main sur ses joyaux et de reconstituer un fond local de l’histoire numismatique qui échappe jusqu’à aujourd’hui à notre patrimoine. A condition de des acteurs locaux comprennent l’intérêt de faire revenir ces pièces sur l’île.

Ce ne serait pas une première dans l’océan indien. Des pièces mauriciennes, également du début du 19e siècle, figurent d’ailleurs parmi les lots de la fameuse vente monégasque d’octobre et il sera intéressant d’observer les réactions que cela suscitera sur l’île soeur. En 1993, les fameux timbres mauriciens ; les “blue penny” et les “red penny” ; avaient été acquis par un consortium mauricien piloté par Mauritius Commercial Bank pour la somme de six millions de francs suisses de l’époque. Plus récemment, en 2020, ce sont les autorités malgaches qui s’étaient émues de voir la robe royale ayant été portée par la princesse Ramisindrazana être soumise aux enchères à Londres lors d’une vente qui proposait également des effets personnels de la Reine Ranavalona III. L’Etat malgache a pu se porter acquéreur de ces pièces historiques, après des négociations diplomatiques infructueuses, pour la somme de 47 500 euros.

La vente aux enchères monégasque des jetons réunionnais a déjà débuté sur internet. A défaut des collectionneurs fortunés et ou nostalgiques, des institutions, des entreprises concernées par l’émission de ces jetons ou des collectivités, au nom de la défense du patrimoine local, seraient bien inspirées de se positionner. Le temps presse. Date limite des enchères le 20 octobre.

Lukas Garcia

Quelques-uns des lots en vente

LOT 1267 Jeton de la Caisse d’escompte et de prêts de l’Île de Bourbon. (1826)

En 1815, l’île Bourbon est rendue par l’Angleterre à la France. Sous la Restauration, l’île reçoit des privilèges et des fonds en abondance. Le gouverneur, avec le titre de commandant et administrateur pour le Roi, possède une réserve de fonds dans une caisse de réserve ou caisse d’escompte aux statuts fixés par le ministre de la Marine le 4 septembre 1822. Le 12 septembre 1826, le gouverneur promulgua par ordonnance royale une nouvelle Caisse d’escompte et de prêts. Les statuts prévoyaient de faire fabriquer des jetons de présence de la valeur de 5 francs sur les ordres du ministre de la Marine pour être livrés à l’administration de la Caisse qui en remboursera le prix. Prix de départ : 300 euros.

LOT 1268 Jeton de la Banque de l’île de la Réunion. (1852-1860).

« Sans poinçon, extrêmement rare et peut-être unique ! », note le vendeur. À la suite de l’abolition de l’esclavage, une loi est votée le 30 avril 1849 pour accorder une indemnité aux colons par suite de la libération de la main d’œuvre servile, à la Réunion. Louis-Napoléon Bonaparte, en 1851, fixe le capital à trois millions qui sera versé dans une banque autorisée à émettre des billets au porteur qui seront reçus comme monnaie légale. Avec 150 actionnaires, la Banque de la Réunion ouvre en juillet 1853 à Saint-Denis. Prix de départ : 1000€

LOT 1271 Jeton de la Chambre de Commerce de l’île de la Réunion. (1862).

Le seul autre exemplaire connu ce ce jeton se trouve à la CCI de Marseille. Prix de départ : 1200 euros.

LOT 1273 Jeton du Crédit foncier colonial, agence de la Réunion ND (1863-1879).

« Semble le seul exemplaire connu ! « , note le vendeur. Filiale du Crédit foncier de France, le Crédit foncier colonial de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion est un établissement privé mis en place en 1863 après s’être appelé Crédit colonial dès 1860. Il eut une importance majeure pour l’économie de la Réunion. Prix de départ : 700 euros.

L’arme du droit de préemption

Si une collectivité réunionnaise souhaitait acquérir ces jetons pour un de ses musées, elles pourraient en théorie s’appuyer sur le « droit de préemption » qui peut s’appliquer notamment pour « les biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie. » Fixé par la loi du 31 décembre 1921, et modifié par la loi du 10 juillet 2000, ce principe régalien autorise l’État à exercer ; pour son propre compte ou celui d’une collectivité territoriale ; « sur toute vente publique d’œuvres d’art un droit de préemption par l’effet duquel il se trouve subrogé à l’adjudicataire ou à l’acheteur ».

Procédure exceptionnelle qui permet aux collections publiques d’intégrer des pièces représentant un intérêt majeur, le droit de préemption ne s’applique que lorsque le bien a dépassé son prix de réserve. En pratique, lorsqu’un musée est intéressé par une pièce proposée aux enchères, il délègue l’un de ses employés pour se rendre à la vente, souvent à l’insu du commissaire-priseur et des potentiels acheteurs qui pourraient sinon être découragés. Muni de sa délégation de pouvoir et d’un prix maximum déterminé à l’avance, il attend le coup de marteau final pour se manifester.

La monnaie, toute une histoire…

On a aujourd’hui du mal à imaginer aujourd’hui, que l’utilisation d’une monnaie sur notre île fut une chose très compliquée jusqu’au 19e siècle. Pendant très longtemps, il y avait peu d’argent liquide à Bourbon. On pratiquait alors le troc et les employés de la Compagnie des Indes dans l’île étaient payés en partie en nature. Et même parfois en vin ! « On dépose ces balles de café dans des magasins publics, des gardiens en donnent un reçu qu’on nomme bon de dépôt, on trafique de ces bons, et l’on paie avec eux comme avec du numéraire; aussi à Bourbon conclut-on tous les marchés par bons et par balles. Certains propriétaires très riches n’ont pas souvent une piastre sous la main, et offrent du café pour tout ce qu’ils achètent », peut-on ainsi lire dans un récit de Bory de Saint-Vincent en 1801. Les premières pièces pour les îles de France et de Bourbon (Maurice, La Réunion ) furent fabriquées en 1723 à Pondichéry, à l’instigation de la Compagnie des Indes. Mais plusieurs monnaies cohabitent pendant de longues années. Des roupies indiennes, des pièces espagnoles (le fameux piastre d’Espagne, une pièce argent convertible partout dans le monde) et même autrichiennes ! En 1859, Gabriel de Kerveguen, le plus gros propriétaire terrien de l’île, obtient en effet de l’administration l’autorisation d’introduire 227 000 pièces d’argent de 20 kreutzers pour payer les engagés indiens qui travaillent sur ses domaines. Ces pièces, démonétisées en Autriche furent appelées ici les « Kerveguen » et largement utilisées en dehors des domaines de Gabriel de Kerveguen. L’administration décide de mettre fin à la circulation de toutes les pièces étrangères en 1879. Le gouverneur de La Réunion, Pierre-Etienne Cuisiner promulgue un décret qui étend à l’île le régime monétaire de la métropole. L’interdiction des « Kerveguen » suscite pendant quelques mois un sérieux désordre et une crise économique majeure. Enfin, c’est en 1945, que le Franc CFA devient par décret la monnaie légale de l’île de la Réunion, jusqu’à sa suppression, au profit du franc, en 1975. L’Euro entre lui en vigueur le 1er janvier 1999, comme partout ailleurs en Europe. Décalage horaire oblige, c’est d’ailleurs sur notre île qu’ont été effectués ce jours-là les premiers paiements de toute la zone Euro.

JIR journal des Iles et de La Réunion. Mardi 21 septembre 2021 par Lukas GarciaDES TRESORS DE LA RÉUNION VENDUS A MONACO